I. Le jour où j’ai ouvert le capot
Quand j’ai rejoint Réfugiés.info, j’ai eu cette sensation étrange de prendre la garde d’un navire déjà en mer. Un navire solide, utilisé chaque jour par des personnes réfugiées et demandeurs d’asile, mais dont chaque pièce racontait une époque différente. Le site fonctionnait, oui. Mais son code vibrait comme un vieux plancher : ça tient, mais il ne faut pas sauter trop fort dessus.
Sous le capot, les générations techniques se mêlaient : composants maison, conventions disparates, tentatives successives pour structurer l’interface. Le service n’était pas inaccessible… mais il n’était pas encore inclusif.
Je me suis dit : on peut l’aider à mieux respirer.
II. Le point de départ — Une mosaïque qui tenait debout par miracle
Pour comprendre où commencer, je me suis mis dans la peau d’un utilisateur qui n’a pas les mêmes appuis que moi. J’ai navigué au clavier, j’ai laissé VoiceOver me guider, j’ai testé les modales, les erreurs, les comportements subtils. Et j’ai vu un produit accueillant, mais pas encore accueillant pour tout le monde.
L’équipe, de son côté, était très petite : un CTO à mi-temps, trois cheffes de projet qui se sont succédé, et moi comme développeur quasi temps plein. Avec cette configuration, une refonte totale aurait été irréaliste. Et pourtant, l’interface avait besoin d’un vrai réalignement.
Il fallait une méthode douce, stable, progressive.
III. La stratégie — Avancer par petites touches, comme on répare un bateau en pleine mer
Dans l’écosystème Beta.gouv, les intrapreneurs, PO et développeurs le savent : un produit public n’a pas le luxe de s’arrêter. On devait donc améliorer l’accessibilité et migrer vers le DSFR, sans jamais bloquer la production.
On a adopté une règle simple :
Chaque fois qu’on touche une page, elle ressort plus accessible qu’avant.
Cette approche incrémentale a été notre force.
Elle a permis d’avancer sans drame, sans refonte, sans dette supplémentaire. Le DSFR n’est pas devenu un chantier monolithique, mais une brique après l’autre. Nous avons créé un backlog accessibilité clair, page par page, critère par critère. Même après une pause budgétaire, on reprenait le fil naturellement.
Le DSFR faisait le reste : chaque migration, même modeste, augmentait la cohérence générale.
IV. Les défis — Les endroits où l’on transpire vraiment
Faire cohabiter deux design systems
Le design system maison racontait l’histoire du produit.
Le DSFR racontait celle de l’État numérique.
Les deux avaient raison — mais pas toujours de la même manière.
La cohabitation était donc un exercice de précision.
La navigation principale, par exemple, demandait un comportement spécifique que le DSFR ne proposait pas par défaut. Alors nous l’avons réécrite : gestion du focus, vocalisation, multi-niveaux. Une horlogerie fine.
Faire entrer Tailwind dans un monde SCSS
Le SCSS hérité devenait difficile à maintenir.
Nous avons introduit Tailwind, tout en mappant les tokens du DSFR dans la configuration.
Résultat : un front plus léger, plus cohérent… mais une transition qui demandait une vraie attention technique.
L’accessibilité, ce travail invisible
L’accessibilité, ce n’est pas “ajouter un alt”.
C’est s’assurer que l’expérience entière tient debout : focus, vocalisation, transitions, erreurs, micro-interactions.
C’est un travail patient, subtil, parfois ingrat — mais essentiel.
V. L’accompagnement Beta.gouv — Le moment où la lumière s’est faite
La team accessibilité de Beta.gouv n’a pas fait un audit pour nous “noter”.
Elle nous a accompagnés.
Onboarding, conseils, réponses rapides, audit surprise en cours de route… C’est ce qui a transformé un chantier intimidant en un processus clair, maîtrisable, durable.
Avec eux, on est passé d’une accessibilité “à corriger” à une accessibilité intégrée dans nos réflexes.
VI. Les résultats — Quand un produit respire mieux
Un an plus tard, le produit a changé de posture.
Il n’a pas changé d’âme, mais il a gagné en cohérence, en douceur, en robustesse.
- La navigation clavier est fluide.
- Les composants DSFR cohabitent proprement avec les éléments maison restants.
- Les vocalisations arrivent au bon moment.
- Le front est plus léger, plus propre, plus prévisible.
- L’accessibilité est devenue un réflexe collectif, pas un chantier ponctuel.
Pour les PO, c’est une vision plus claire.
Pour les intrapreneurs, c’est l'assurance d'avoir un produit public mais surtout inclusif.
Pour les développeurs, c’est un terrain enfin stable.
VII. Les leçons qui dépassent Réfugiés.info
Ce chantier m’a appris que :
- L’accessibilité n’est pas un sprint. C’est une manière de travailler.
- Le DSFR n’est pas une contrainte : c’est un accélérateur.
- Les petites équipes peuvent accomplir énormément avec une méthode progressive.
- Le “petit pas” est plus puissant qu’un grand plan irréaliste.
Et surtout :
Un produit public n’a pas besoin d’être refondu pour devenir meilleur. Il a besoin d’être soigné.
VIII. La suite — Continuer d’avancer sans s’arrêter
Il reste du travail : finaliser certaines vocalisations, harmoniser les pages secondaires, moderniser le back-office… et accueillir le prochain audit RGAA comme une nouvelle boussole.
Mais désormais, ce n’est plus une montagne.
C’est une routine.
Un mouvement naturel.
Réfugiés.info continuera à évoluer — sans rupture, sans panique, sans refonte.
Juste avec de la méthode, du temps, et du soin.